La narration visuelle—3
Dans le même esprit, trois de ses quatre derniers livres évoquent l’extraordinaire à partir de sujets dans lesquels une forte empathie élève encore la description des personnes et des lieux hors du quotidien et les projette dans la recherche de quelque chose de plus essentiel. Comme il l’a dit lors d’une interview en 1999 : « Il y a une émotion par rapport au lieu, que j’essaie de traduire, de transcrire… ».
Malgré sa lutte contre le cancer, ce fut une période fertile, avec l’apparition en 1995 de E Pericoloso… le voyage au Gargano le récit d’un voyage dans le sud-est de l’Italie et la découverte d’une communauté unique et d’un mode de vie menacé, présenté sous la forme d’un journal intime. Les séquences photographiques sont entrecoupées de fragments narratifs et de notations éphémères : billets de train, tapis de bar, tickets de caisse, étiquettes d’huile d’olive, et une collection de polaroïds.
Passage Lathuile (1996) est un autre portrait poétique de personnes et de lieux, mais cette fois-ci découverts sur le pas de sa porte juste au coin du Moulin Rouge. Christian travaille alors de façon beaucoup plus lente et réfléchie en adoptant un format carré grâce à un Rolleiflex emprunté. Ce projet marque une modification importante de son travail par son approche, son ton émotionnel et son style d'écriture très personnel. Christian évoque des souvenirs de ses débuts (quand il photographiait des pilotes de course célèbres) et de ses rencontres imaginaires avec de vieux amis et des héros avant de plonger dans le monde magique du Cirque Romanès.
Le Journal du nouveau siècle, publié quelques mois avant sa mort en juin 2001, est à la fois une fête entre amis dans des lieux chers et un puzzle autobiographique qui : « …reconstitue mon parcours de vie, dans ce qu’il a d’émotions, d’amitiés partagées et des sensations ‘à fleur de peau’ ». La mort sur son épaule, nous rejoignons Christian Louis lorsqu’il tombe sur les contours d’un cadavre tracé en blanc sur les pavés du Passage Lathuile, alors qu’il visite les célèbres cimetières parisiens du Père-Lachaise et de Montmartre (où nous voyons son ombre au milieu des tombes) ou quand il rencontre les démons et les squelettes de la « Nuit des sorciers » à Bué, son village d’adoption dans le centre de la France. Un autoportrait, un album-souvenir de personnages, de lieux, d’incidents et de moments où nous l’accompagnons au cours de l’année qui précède le nouveau siècle…
Contrairement à Passage Lathuile, le récit est guidé par le texte plutôt que par les images. Christian Louis nous raconte son année avec les nombreux à-côtés qui rassemblent les images en un flot visuel à la manière de Jack Kérouac tout en essayant de retenir le merveilleux du moment. Dans les trois dernières images, il part fêter le Nouvel An et le nouveau siècle avec son ami Jean-Marie Kerwich, le clown « magique » du Cirque Romanès, que nous voyons se promener dans un chemin boueux, une housse de guitare à la main, en direction de la barrière en tôle ondulée derrière laquelle se trouve la caravane où, ensemble, ils célèbrent la nouvelle année avec de la musique et une bouteille ou deux de Sancerre…
Post-scriptum
Tout au long d’une lutte contre le cancer et jusqu’à sa mort en juin 2001, Christian Louis a été absorbé par l’enseignement à l’ENSAD et par son travail sur plusieurs histoires inédites, des idées de livres et de nouveaux projets, dont quelques-uns ont été recréés pour la collection la narration visuelle chez Café Royal Books. Pour cette collection nous avons aussi revisité quelques livres de Christian dans un esprit aussi proche que possible de l'original.