La narration visuelle—1
La vie créative et intellectuelle du Paris des années 1960 et 1970 était dominée par des figures comme Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir et fortement influencée par le surréalisme. Il en résulte un esprit révolutionnaire qui culmine en Mai 68 et inspire une génération d’étudiants, d’artistes et d’intellectuels. Dans cette atmosphère, ses origines populaires et ses opinions tranchées ont permis à Christian de nouer des amitiés durables avec des artistes, des écrivains et des photographes reconnus, dont Robert Doisneau, Willy Ronis, Jacques Prévert et François Cavanna.
Sous ces influences, il a développé un style de narration visuelle très personnel. Ses livres sont nés des collaborations avec des écrivains et des poètes, majoritairement des critiques engagés et proches de la tradition surréaliste, ce qui rajoute une deuxième voix, parfois contrastée, aux images. Publié en 1977, son premier livre photo, Matar Matadores Matados, résumé des visites annuelles à Céret, dans les Pyrénées-Orientales, constitue un point culminant. Produit en petite série par un collectif éphémère de photographes radicaux, le texte concis et puissant du poète, dramaturge et photographe Pierre Bourgeade résonne avec le dégoût de Christian Louis face à la réalité du taureau, des hommes et des chevaux mettant leurs vies en jeu pour l’amusement d’une foule.
Dans une deuxième coopération avec Bourgeade, Le Pays que je veux (1980), Christian Louis nous dresse un portrait du Sud autour de Céret dans les contreforts des Pyrénées. Ce n’est pas le Midi des cartes postales des vacances d’été, mais un paysage brûlant sous un soleil de plomb, balayé par la tramontane, dur à vivre mais résistant, solide, fougueux, capté avec une objectivité chaleureuse face à la réalité d’une France traditionnelle dépassée. Le texte fait écho au regard du photographe, qui, pour Bourgeade, évoque quelque chose de bien plus profond : « …en laissant les choses parler d’elles-mêmes, il a fait plus que photographier la région de Céret : il a photographié la France. » Et pour compléter son hommage au sud de la France, dans Square Laurent Ribérat (1985), des poèmes de Ribérat sont accompagnés d’images intimes suivant le peintre autodidacte autour de Céret, son village natal. Ce livre est un portrait d’un esprit libre dont le mépris total de la renommée résonnait profondément chez Christian Louis.
Un an après, un autre projet donne lieu à une exposition et à un livre, Ticket de Quai (1978). Muni d’un ticket de quai et de son Leica, Christian Louis hante les gares parisiennes aux noms évocateurs avec leur promesse de périples dans l’inconnu, pour créer une œuvre qui mêle le texte à la photographie documentaire, avec comme « voix off » les couplets du poète anarchiste André Laude. Le texte explore l’infini d’histoires et de possibilités imaginées qui commencent, se déroulent et se terminent dans les grandes gares, parfois en contraste avec des images qui témoignent d’une réalité bien plus prosaïque.
Travailler avec des écrivains et des poètes radicaux a offert à Christian la liberté de développer son propre style et ses propres idées, ce qui a souvent donné lieu à de petites éditions et à des livres auto-publiés. Pierre Bourgeade était ami de Man Ray et de Pierre Molinier, André Laude était connu pour son anarchisme pur et dur et sa vision sombre de la vie moderne, mais il était également critique littéraire et photographique pour Le Monde, et François Cavanna, éditeur de Charlie Hebdo, a écrit la préface d’un des derniers livres de Christian Louis, La Photo c’est Rigolo (1999).…